chaque fois unique la fin du monde


C’est ce qui était graffité sur l’un des murs fatigués des Ruellards. La fin du monde, quand je marche, je l’ai sous les semelles. À chaque pas, je l’écrase cette fin du monde, bien malgré moi, par ce désir de me perdre dans chaque petite chose d’un quartier familier. On me dira qu’on ne s’y perd pas, qu’il s’agit là d’un jeu pour déjouer le quotidien, la routine. Je ne sais trop. D’abord, avoir l’esprit du jeu ce n’est pas si mal, ça permet d’ailleurs de sourire plus souvent. Et le quotidien, j’ai le nez dedans. Alors peut-être que oui, il s’agit de le déjouer, de lui faire passer le ballon entre les jambes, dribbler un peu en le regardant tomber par terre, le visage barbouillé de terre. Le contempler dans sa beauté ridicule. Lui tendre la main pour ensuite le remettre sur pieds, lui ménager un espace à mes côtés, pour qu’il me raconte des histoires, me parle de ses raccommodages.

Il y a deux jours de ça, j’ai marché pour me rendre du Laboratoire à l’Appart. J., arrivée quelques minutes avant moi, m’a proposé de marcher jusqu’au centre-ville, pour qu’on puisse se mettre de nouvelles musiques dans l’oreille, de nouveaux mots sous les yeux. En tout et partout, à force de flâne et de curiosité, j’ai oublié le but de l’escapade. Tout ce dont je me souvenais, c’était que j’avais soif, et qu’on allait se payer la traite avec le premier granité au chocolat de l’année. Nous avons échoué dans un parc, rue Sanguinet, dans un repli de l’Université. Les fesses et les cuisses qui picotaient – après plus de trois heures de marche, c’est permis – nous nous demandions pourquoi tout pouvait être compliqué. Assis là, comme deux pingouins sur un banc de parc, à couver notre joie d’être là en tétant un granité, à jaser voyage et petit pois, est venue cette phrase toute simple : « On est tellement bien. » Je ne sais plus de qui de nous trois – de J., de moi ou du quotidien – était ce On. Je ne me souviens plus si la fin du monde était toujours collée à mes semelles, mais si c’était le cas, elle était belle et coulait dans l’herbe sèche, paisible.