bleu ciel, bleu marine


Cours, Guillaume! Cours! Ces trois mots ont fondu à travers les mailles de la clôture en raclant un fond de gorge. Ledit Guillaume, la trentaine facile, n’avait rien d’un athlète : un corps qui ressemble à une boule de crème glacée, coulant un peu sous le soleil, montée sur deux pattes de cigogne. Il courait avec les coudes bien serrés contre le corps, les poings fermés bien dur. C’est à croire qu’il retenait son souffle en courant du marbre au premier but, comme pour se donner un air de légèreté. Il échouait, évidemment, mais il était beau à voir sous sa casquette de Pennzoil tachée de sueur. Guillaume a été retiré au deuxième but après le bunt peu convaincant de David.

C’était un mardi soir du mois de juillet et l’équipe des chandails bleu ciel jouait contre l’équipe des chandails bleu marine. D’un côté à l’autre du terrain, on s’en lançait des vertes et des pas mûres pendant que le batteur était dans’ bouteille (dou dah, dou dah!) Ici et là, dans les estrades, quelques canettes de Bud attendaient le changement des équipes et, quand ça arrivait, on tapait amicalement la fesse gauche d’un coéquipier avec sa mitt. Oui, mitt et non gant de baseball, car ce dernier n’est pas en mesure d’évoquer l’odeur de fond de remise, de poussière, de sueur et de vieux cuir portant l’empreinte de la main de son propriétaire – c’est un gant de baseball avec une histoire.

Ce mardi soir-là, dans la lumière qui crevassait l’horizon du quartier, j’ai compris que ces gars, chandails bleu ciel et bleu marine, mais portant les mêmes pantalons gris, ne jouaient pas au baseball pour une question de sport. On ne comptait pas les points, seulement les caisses de 12. On ne courait pas à fendre l’air, Guillaume n’est pas de cette trempe. Quand on contestait une décision de l’arbitre, c’était pour régler de faux problèmes autour d’une énième bière, le soir venu.

Ces gars-là jouent au baseball, avec les sourcils froncés, le sourire en coin et la palette de la casquette bien droite sur le front. Et de temps en temps, ils s’arrêtent, posent leur mitt sur leur poitrine en attendant que l’arbitre, puis Guillaume, essuient leur front dégoulinant de sueur. Puis quand les habits deviennent trop poussiéreux, que les deux équipes ne font plus qu’une, on sait que c’est l’heure de rentrer… mais seulement après une jasette d’une heure ou deux dans le stationnement, derrière le terrain de baseball.